première partie -
La partie qui se joue au Tibet"Informer n'est pas une
liberté pour la presse,
mais un devoir"
21 mars 2008
La partie qui se joue au Tibet
BLEITRACH Danielle
Il semble que la partie qui se joue au Tibet soit pour nous français
partiellement insaisissable ou en tous les cas occultée au profit d’une
mobilisation des affects. L’étonnante déclaration du Dalaï-Lama menaçant
de démissionner a donné lieu à peu de commentaires. Il y a là pourtant une
clé de l’antagonisme. Bernard Kouchner interviewé sur France 2 hier a
lâché « je ferai des pétitions quand je comprendrai ce que veut le Dalaï
Lama ».
D’abord, pourquoi cette démission, selon Raphaël Lioger, directeur de
l’observatoire du religieux et professeur des universités à l’Institut
d’études politiques d’Aix-en Provence interviewé par Libération.
1- UN INTERVIEW INTERESSANT (1)
- Comment comprendre la menace de démission brandie hier par le Dalaï-Lama
?
C’est très subtil, mais elle s’adresse d’abord aux Chinois. Ces derniers
savent que le dalaï-lama, âgé de 72 ans, a une santé fragile. Pékin estime
pouvoir décider de sa succession quand il disparaîtra, en choisissant à sa
guise sa réincarnation. Or si celui-ci décide de lui-même de passer le
flambeau avant son décès, un conseil de dignitaires choisira un jeune et,
à partir de ce moment-là, la Chine repart pour cinquante ans
d’affrontement avec le Tibet. C’est le scénario qui inquiète le plus les
Chinois. Mais cette menace peut être vue aussi comme une adresse aux
Tibétains plus radicaux… Certes, car effectivement la situation de ces
derniers jours semble lui échapper avec ces débordements. Il y a chez lui
l’idée que toute action est forcément non-violente, qu’elle ne doit, en
aucun cas, finir en bain de sang. Sinon, le dalaï-lama s’en sentirait
personnellement responsable, il apparaîtrait comme un traître. Il redoute,
d’ailleurs, que la Chine perde la face, se cabre et, finalement, se pose
en victime.
- Pourquoi le dalaï-lama semble-t-il si modéré dans ses positions ?
Pourquoi n’exploite-t-il pas plus la tribune offerte par les Jeux
olympiques qui démarrent dans moins de cinq mois ?
Mais il profite des JO ! Il a deux revendications qui ne sont pas
anodines. D’abord, il exige une réelle autonomie puisque Pékin ne respecte
plus la coutume de « chapelain-protecteur » qui régissait les relations
entre le Tibet et la Chine depuis le XVIe siècle. Pékin empêche la
pratique religieuse en imposant une « éducation patriotique ». C’est
pourquoi les Tibétains parlent de « génocide culturel ». Deuxième
revendication : le rétablissement des vraies frontières du Tibet, puisque
la Région autonome ne représente, sur les cartes chinoises, qu’une petite
moitié du Tibet traditionnel. Ces demandes sont difficiles à manier pour
la Chine. Pékin aimerait tellement que le dalaï-lama soit radical et prône
l’indépendance. Mais les Chinois n’arrivent pas à faire de lui l’ennemi
qu’ils voudraient qu’il soit. C’est ce que les jeunes générations n’ont
pas compris.
- La division guette-t-elle les Tibétains ?
C’est déjà le cas, notamment, entre les jeunes et les plus âgés qui
respectent leur chef spirituel. Mais si les plus radicaux parviennent à se
contrôler, le dalaï-lama apparaîtra d’autant plus modéré. Et d’autant
moins saisissable pour Pékin. (1)
II -QUELS SONT LES ELEMENTS D’ANALYSE DONT NOUS DISPOSONS ?
Cet interview d’un partisan du Dalaï Lama est très intéressant parce qu’il
nous permet de saisir un peu des réalités de la situation actuelle.
D’abord il permet de préciser un point tout à fait central, celui du
contenu réel de la "revendication culturelle". Il s’agit en effet de
l’éducation et de la santé, traditionnellement assurés par les monastères
(2). Le Parti Communiste Chinois considère que la religion doit être
soumise à l’ordre socialiste. La religion lamaïste est autorisée à la
condition de ne pas être un foyer d’opposition politique. Ce qui bien
évidemment est parfaitement contradictoire avec l’existence d’un
gouvernement de religieux en exil. Pourtant il existe des négociations que
les Chinois actuellement estiment rompues par les événements. J’ai demandé
à un des mes anciens étudiants qui a enseigné en Chine pendant trois ans
et a épousé une Chinoise de compléter mes informations. Il m’a signalé
que, d’après ses chiffres déjà anciens, il y avait au Tibet, en 1999, 2632
médecins, 95 hopitaux municipaux et 770 cliniques. La mortalité infantile
était en 1998 de 3%. L’espérance de vie de 65 ans. Il y avait un
travailleur sanitaire pour chaque 200 habitants. En 1997 avait été
inauguré un hopital moderne à Lhassa. A cette époque là, la scolarisation
des enfants était de 82% et se faisait en chinois et tibétain. Avec
toujours la différence entre zones rurales et urbaines. Les Chinois
nouvellement arrivés étaient des citadins, mais les Tibétains migraient de
plus en plus des campagnes vers les villes. Il m’a également signalé que
pour que la population tibétaine reste plus nombreuse, elle n’avait pas
été soumise à la restriction de l’enfant unique, les familles avaient
droit à trois enfants. (3)
La partie qui se joue au Tibet"Informer n'est pas une
liberté pour la presse,
mais un devoir"
21 mars 2008
La partie qui se joue au Tibet
BLEITRACH Danielle
Il semble que la partie qui se joue au Tibet soit pour nous français
partiellement insaisissable ou en tous les cas occultée au profit d’une
mobilisation des affects. L’étonnante déclaration du Dalaï-Lama menaçant
de démissionner a donné lieu à peu de commentaires. Il y a là pourtant une
clé de l’antagonisme. Bernard Kouchner interviewé sur France 2 hier a
lâché « je ferai des pétitions quand je comprendrai ce que veut le Dalaï
Lama ».
D’abord, pourquoi cette démission, selon Raphaël Lioger, directeur de
l’observatoire du religieux et professeur des universités à l’Institut
d’études politiques d’Aix-en Provence interviewé par Libération.
1- UN INTERVIEW INTERESSANT (1)
- Comment comprendre la menace de démission brandie hier par le Dalaï-Lama
?
C’est très subtil, mais elle s’adresse d’abord aux Chinois. Ces derniers
savent que le dalaï-lama, âgé de 72 ans, a une santé fragile. Pékin estime
pouvoir décider de sa succession quand il disparaîtra, en choisissant à sa
guise sa réincarnation. Or si celui-ci décide de lui-même de passer le
flambeau avant son décès, un conseil de dignitaires choisira un jeune et,
à partir de ce moment-là, la Chine repart pour cinquante ans
d’affrontement avec le Tibet. C’est le scénario qui inquiète le plus les
Chinois. Mais cette menace peut être vue aussi comme une adresse aux
Tibétains plus radicaux… Certes, car effectivement la situation de ces
derniers jours semble lui échapper avec ces débordements. Il y a chez lui
l’idée que toute action est forcément non-violente, qu’elle ne doit, en
aucun cas, finir en bain de sang. Sinon, le dalaï-lama s’en sentirait
personnellement responsable, il apparaîtrait comme un traître. Il redoute,
d’ailleurs, que la Chine perde la face, se cabre et, finalement, se pose
en victime.
- Pourquoi le dalaï-lama semble-t-il si modéré dans ses positions ?
Pourquoi n’exploite-t-il pas plus la tribune offerte par les Jeux
olympiques qui démarrent dans moins de cinq mois ?
Mais il profite des JO ! Il a deux revendications qui ne sont pas
anodines. D’abord, il exige une réelle autonomie puisque Pékin ne respecte
plus la coutume de « chapelain-protecteur » qui régissait les relations
entre le Tibet et la Chine depuis le XVIe siècle. Pékin empêche la
pratique religieuse en imposant une « éducation patriotique ». C’est
pourquoi les Tibétains parlent de « génocide culturel ». Deuxième
revendication : le rétablissement des vraies frontières du Tibet, puisque
la Région autonome ne représente, sur les cartes chinoises, qu’une petite
moitié du Tibet traditionnel. Ces demandes sont difficiles à manier pour
la Chine. Pékin aimerait tellement que le dalaï-lama soit radical et prône
l’indépendance. Mais les Chinois n’arrivent pas à faire de lui l’ennemi
qu’ils voudraient qu’il soit. C’est ce que les jeunes générations n’ont
pas compris.
- La division guette-t-elle les Tibétains ?
C’est déjà le cas, notamment, entre les jeunes et les plus âgés qui
respectent leur chef spirituel. Mais si les plus radicaux parviennent à se
contrôler, le dalaï-lama apparaîtra d’autant plus modéré. Et d’autant
moins saisissable pour Pékin. (1)
II -QUELS SONT LES ELEMENTS D’ANALYSE DONT NOUS DISPOSONS ?
Cet interview d’un partisan du Dalaï Lama est très intéressant parce qu’il
nous permet de saisir un peu des réalités de la situation actuelle.
D’abord il permet de préciser un point tout à fait central, celui du
contenu réel de la "revendication culturelle". Il s’agit en effet de
l’éducation et de la santé, traditionnellement assurés par les monastères
(2). Le Parti Communiste Chinois considère que la religion doit être
soumise à l’ordre socialiste. La religion lamaïste est autorisée à la
condition de ne pas être un foyer d’opposition politique. Ce qui bien
évidemment est parfaitement contradictoire avec l’existence d’un
gouvernement de religieux en exil. Pourtant il existe des négociations que
les Chinois actuellement estiment rompues par les événements. J’ai demandé
à un des mes anciens étudiants qui a enseigné en Chine pendant trois ans
et a épousé une Chinoise de compléter mes informations. Il m’a signalé
que, d’après ses chiffres déjà anciens, il y avait au Tibet, en 1999, 2632
médecins, 95 hopitaux municipaux et 770 cliniques. La mortalité infantile
était en 1998 de 3%. L’espérance de vie de 65 ans. Il y avait un
travailleur sanitaire pour chaque 200 habitants. En 1997 avait été
inauguré un hopital moderne à Lhassa. A cette époque là, la scolarisation
des enfants était de 82% et se faisait en chinois et tibétain. Avec
toujours la différence entre zones rurales et urbaines. Les Chinois
nouvellement arrivés étaient des citadins, mais les Tibétains migraient de
plus en plus des campagnes vers les villes. Il m’a également signalé que
pour que la population tibétaine reste plus nombreuse, elle n’avait pas
été soumise à la restriction de l’enfant unique, les familles avaient
droit à trois enfants. (3)