Grande distribution : retour de la guerre des prix
Réinjecter dans les prix 2% des 170 milliards d’euros du CA de la grande distribution représenterait 3,4 milliards d’euros de pouvoir d’achat supplémentaire pour les Français.
Dix ans de léthargie « Galland » l’auraient presque fait
oublier, mais le commerce est autre chose que la négociation de remises
entre industriels et distributeurs. Dix ans sans de véritables
négociations commerciales, dix ans de distributeurs « drogués » aux
marges arrière, et dix ans de forte inflation sur les produits de
grande consommation, au détriment du consommateur, sans que personne ne
trouve rien à redire.
La nouvelle loi Dutreil autorise les enseignes de grande consommation à
répercuter en partie les marges. Réinjecter dans les prix 2% des 170
milliards d’euros du CA de la grande distribution représenterait 3,4
milliards d’euros de pouvoir d’achat supplémentaire pour les Français,
soit 130 euros par foyer. Ces « respirations » sur les prix devraient
conduire au retour à une réelle agressivité inter-enseignes , base même
de la concurrence commerciale. Consommateurs, soyez heureux, les
distributeurs se sont jetés dans la bagarre, Intermarché proposant
« 1000 prix bloqués pour 2006 », Leclerc déclarant : « En 2006 les prix
E. Leclerc retrouvent la liberté », Géant proposant sur 200 produits de
grandes marques « Plus bas, Y’a pas », s’engageant à rembourser 10 fois
la différence à ses clients s’ils trouvent moins cher, et ce n’est que
le début d’une année à l’agressivité commerciale retrouvée.
Désormais tous les coups sont permis, les hypermarchés longtemps freinés par la
loi Galland retrouvent leur jeunesse et leur raison d’être : le
discount. Jamais, depuis près de dix ans, les négociations entre
enseignes et distributeurs n’ont été aussi tendues. D’un côté, les
industriels proposent des augmentations significatives de leurs tarifs
(allant jusqu’à 10%). Les raisons de ces hausses spectaculaires sont
multiples. Ils doivent faire face aux attentes de leurs actionnaires,
compenser la perte de volume dû au désengagement de plus en plus
régulier des consommateurs envers les marques nationales, et soutenir
de lourds investissements en innovations qui feront les marchés de
demain. Lorsqu’on sait que seulement 1 nouveau produit sur 70 réussit à
franchir le cap de la première année, on imagine sans peine le coût de
ces investissements. De l’autre côté, les distributeurs se retrouvent
coincés entre ces hausses tarifaires et leur nouveau pouvoir (et
devoir) de répercussion de marges vers le consommateur. D’où le
paradoxe que plus les distributeurs négocient des marges arrière
fortes, plus ils peuvent baisser les prix. Conclusion, après des années
d’entente cordiale, fabricants (principalement les 60 multi-nationales
qui représentent 40% du CA des hypers) et distributeurs sont prêts à en
découdre. Et la distribution retrouve ses vieux réflexes de pression,
allant de la menace de déréférencement à l’approvisionnement dans un
pays européen voisin. Pour les enseignes, pas question de financer
seules l’effort de baisse de prix, d’où une probable orientation vers
l’accentuation des marques propres et des premiers prix, au détriment
des marques nationales.
Toute marque qui n’est pas leader ou n°2 de son marché a du souci à se faire, beaucoup de nos PME
risquent de disparaître des rayons. Ce seront les premières victimes de
la nouvelle loi, avec les milliers d’emplois impliqués. source
Enquête: Pouvoir d’achat : la guerre des prix de Benoît Bertrand Cadi et Luc Hermann.
Le sujet est brûlant : enquête, contre-enquête, guerre de
communiqués… A qui profite vraiment la hausse des prix ? Une équipe
d’Envoyé Spécial a suivi le parcours de trois produits de consommation
courante : une salade, un fromage industriel et un paquet de pâtes
premier prix. Rares sont les producteurs qui témoignent à visage
découvert, par peur des sanctions de la grande distribution. Un paysan
du Sud-Ouest accepte de montrer le parcours d’une salade, de sa
production à sa mise en rayon à quelques kilomètres seulement du lieu
où elle a poussé. A la ferme, il vend sa salade 50 centimes d’euros
avec une marge confortable. En rayon du supermarché, le producteur la
retrouve à 99 centimes d’euros, soit 50 % plus chère. Certains
producteurs sont condamnés à vendre à perte. Ils racontent les
nombreuses pressions exercées par la grande distribution, refus de
prendre leur marchandise sans justification ou encore obligation de
financer eux-mêmes les offres promotionnelles. Autre exemple avec une
célèbre marque de fromage industriel. Récemment cette marque était
montrée du doigt par un distributeur pour avoir augmenté son prix de
manière "injustifiée". La sanction fut immédiate : retrait de la vente
dans les supermarchés de la chaîne. Une démarche rare et dans ce cas
trompeuse. Le fromage a bien augmenté, mais de manière normale compte
tenu de l’augmentation importante du prix du lait ces derniers mois. Si
la grande enseigne de supermarché a retiré le produit, c’était pour
faire pression sur la marque avant la fameuse négociation annuelle.
Depuis, le fromage a réintégré les rayons, sans publicité.
Décryptage également du parcours d’un paquet de pâtes premiers prix
vendu sous une marque de distributeur. Ces produits sont souvent moins
chers que les produits de grande marque. Mais, et cela n’est presque
pas apparu dans les dernières enquêtes, leur prix a sensiblement plus
augmenté que celui des grandes marques. Entre producteurs, industriels
et distributeurs, la guerre ne fait que commencer.
redif:rediffusion dans la nuit de vendredi à samedi