Des poèmes hiératiques dans la maison de paroles et de pierres
A l’occasion de ses 70 ans , le poète frontignanais Georges Drano né en 1936 et natif de Bretagne vient de sortir un trentième volume de poésies et des poèmes en prose intitulé « Pour habiter » aux Editions L’Idée Bleue ;
Le critique Serge Meitinger souligne « qu’un seul et unique mouvement porte le geste de l’inventeur de l’horizons du découvreur de pays, de l’amoureux des paysages et celui du parleur s’ouvrant à neuf le champ et le labour de mots : l’allant et l’allure du marcheur , « la motion » sans cesse inventive de qui avance(et s’avance) dans et par son corps… »
Le livre dédié à Nikou a des accents d’un lyrisme pur , direct, sentimental et sensuel ,un côté lumineux comme seul rempart contre le mal existentiel.
« Nous irons cueillir les cris des oiseaux dans les campagnes »/ « toutes les fleurs d’été visitent ton souffle d’innocence »/je te protégerai de mes mains innombrables/qui se posent sur toi en bouquets allumés »/ »je te tisserai dans le ciel ma poitrine /une toile tintant de miel /où ton cœur se prendra. Ces poèmes hiératiques tissent un réseau métaphorique sur le thème de la passion , de l’amour , du temps qui fuit.
Ce recueil privilégie l’imagination et la réflexion, des constatations vacillant entre un ton aigu et un prosaïsme qui incorporent une quête moderne au cœur de mots menhirs : « choisis le sens des mots , à rien au son qui court et que nul ne peut voir ». Des vers sans embellissements ni emphases inutiles forment « une maison d paroles et de pierres »qui conduisent le lecteur vers la vérité, vers la brèche divine d’une possible illumination .Il esquisse les traits généraux de ce que doit être à son avis la poésie contemporaine : « à chaque pas un mot avance à l’intérieur du corps » Le poète est celui qui phagocyte les mots , avare de révélations secrètes.
L’Inspiration est « spectacle de la pluie…celui d’une écriture incisive, suspendue jusqu’au moment où nous décidons de déjouer cette ruse, l’air de la flûte, pour laisser notre empreinte contre le mur »
Le poète vit un impact tellurique avec les éléments, se sent interpellé « par toutes les terres en dérive ».
Un sorte de demi-someil enveloppe les mots : « Mais je sais qu’il en est parmi vous qui sentent bouger une maison de bois comme un navire et qui pensent à une terre docile aux mains, visible aux songes …territoire mythologique dessine son pieux Angélus « les hommes partent dès le matin et se dispersent /dans les champs à leurs travaux silencieux ».
Ce monde sacré obéit aux cycles de la nature « tout se fume, se meurt et renaît inlassablement ».
Le poète s’interroge sur les formes de la poésie, veut comprendre sa nature énigmatique.
Ses poèmes guettent les noyaux d’un monde en éternelle formation : Il pense « à l’intimité très ancienne du chaume ou l’homme écoute grandir les jachères ».
Les paroles illuminent le passé lointain des hommes des premières âges qui eurent le secret, les vers deviennent des fines fulgurances, des vrais moments de suspension dans un paradis perdu : « Tout a péri/l’arbre le plus ivre/la terre la plus visitée de semences/il faut partir/quitter ce pays avant le dernier glissement ».
Le poète est ce voyant qui surpasse les limites de la perception ordinaire : « pour connaître la partition il faut crier jusqu’aux os de la terre déposés en soi…la bouche mêle la terre /les pierres et les mots/le temps passe /et ne fortifie rien ».
Ce son cosmique se situe à la hauteur même des êtres et des choses. Il est surtout présent dans les poèmes en prose disséminés dans ce livre : « Une idée de renoncement les reliait au chemin le long du bois de chênes verts, une branche brisée dans ce qu’ils avaient rêvé de vivant ».
L’Ecriture et son royaume secret se superpose à la vie, « hermétique adresse d’un lieu qui attend ».
Le poète essaie de réconcilier les forces si contradictoires de la nature et de son univers intérieur .Ce livre est l’attente du jaillissement d’une parole libre sans mesure, c’est une vassalité amoureuse pour tous les rois de la poésie de tous les temps réunis, le son grave d’un poète contemporain inclassable.